Yannic Seddiki, touches en plein cœur

Pour Yannic Seddiki, sept notes auront toujours plus de poids que vingt-six lettres. En témoigne son dernier opus E-Life qui nous happe dans d’étonnantes contrées sonores, entre jazz, classique et musiques du monde. Rencontre avec un pianiste vagabond qui possède le don inouï de rassembler les différences.
Par Joffrey Levalleux
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Comprendre la musique cacique 

A une minute quarante-cinq d’un morceau qui en compte six, quatre notes caressent l’oreille comme un petit air de déjà entendu. On cherche, on hésite puis on finit par jeter l’éponge. Sauf que quelques instants plus tard, le même ostinato à peine perceptible sème le doute à nouveau. Soudain tout s’éclaire. Le rythme est plus lent, l’instrument différent, mais il y a quelque chose de très james bondien dans « The Peacocks » tiré de l’album You Must Believe In Spring de Bill Evans (1981). Les occurrences subjectives sont parfois le fruit de notre imagination « mais elles sont surtout le signe d’une grande vivacité émotionnelle que seul le jazz permet. » Quand il découvre le prodige du New Jersey, Yannic Seddiki le trouve lisse. Mais plus il l’écoute, plus il comprend son erreur. Celui qu’il jugeait suave pour ne pas dire naïf est en fait un pionnier « qui maîtrisait ses classiques tout en créant le jazz moderne. » Aujourd’hui, Bill Evans fait partie de son panthéon aux côtés de Glenn Gould, Duke Ellington, Chick Corea ou Thelonious Monk. Des mentors qui le touchent profondément sans prononcer un mot. « On dit que le jazz est une langue universelle, un medium accessible à tout le monde. Pour moi ça va plus loin. C’est un espace de liberté. »   

Faire ses gammes 

Natif de Valenciennes, Yannic grandit au creux d’une famille aimante qui lui transmet le goût du partage que, lui dit-on, seule la pratique d’un instrument décuple. Quand sa mère, clarinettiste amatrice, l’inscrit à l’école de musique de Denain à sept ans, peut-être a-t-elle une pensée pour son propre père qui décrocha en son temps une médaille d’or de violoncelle. Atavisme ou  pas, « j’ai vite compris que j’allais devoir travailler dur pour progresser. » Chaque midi, Yannic ressasse ses gammes chez sa grand-mère. Trente minutes que le gamin aurait bien échangées contre un match de foot, de basket, un duel de ping-pong ou de karaté. Quatre disciplines qu’il pratiquera tout au long de sa scolarité. « Ça doit expliquer pourquoi au début j’avais du mal à rester assis derrière un clavier… » Pour la plus grande fierté de ses parents, Chopin, Brahms et Beethoven deviennent des proches. « Mais rien ne vaut un bon Michael Jackson ! » Et puis, l’un n’empêche pas l’autre. « J’adore tisser des liens, admet-il. Quand je me suis plongé dans le répertoire d’Oscar Peterson, je n’ai pas pu m’empêcher de faire le rapprochement avec Liszt. » Des passerelles musicales, Yannic Seddiki a passé son dernier été à en édifier dans le Saint-Tropez branché. Entre Mozart et Claude François, Herbie Hancock et Desireless. « Je n’ai aucune frustration à faire des reprises. J’aime surprendre. »  

Recherche d’équilibre  

Aujourd’hui, Yannic Seddiki vit à Lille mais la couverture de son dernier album E-Life le montre de profil assis sur une chaise toute simple en haut d’un des terrils jumeaux de Loos-en-Gohelle. « Ce territoire me parle. Mon grand-père paternel était mineur et j’y ai passé mon enfance. Je suis sensible aux atmosphères qui s’en dégagent », dit sans une once de nostalgie le musicien-explorateur qui se laisse désormais de plus en plus guider par son instinct. C’est ainsi qu’en 2019 il part jouer ses propres morceaux métissés dans un petit village égyptien pour « partager un moment d’une rare intensité émotionnelle. » On n’en saura pas plus sinon qu’il ne redoute pas de jouer face à un public. Au contraire. « Pour un jazzman, le live fait le tri sans concession. En concert, il n’y a pas de place pour l’escroquerie », affirme-t-il sans détour. Mais depuis la pandémie et l’annulation des concerts à tour de bras, le monde de la musique est au régime sec. Lorsque nous le rencontrons, il mesure sa chance d’être entre deux dates. Ce rythme chaotique est partiellement, mais heureusement, compensé par ces nouvelles façons d’écouter la musique. « Quand tu reçois des messages de Colombiens ou de Japonais qui disent du bien de tes créations, ça te donne des ailes pour avancer. » D’ailleurs, E-Life raconte ce monde hyperconnecté « où l’on perd toute notion d’équilibre. » A moins d’avoir une chaise et un terril à sa portée.  

« Pour un jazzman, le live fait le tri sans concession. En concert, il n’y a pas de place pour l’escroquerie »

Yannic Seddiki

DATES CLES

3 mai 1985 : naissance à Valenciennes 
1992 : entre au conservatoire de Denain dans la classe de Philippe Keler  
2008 : médaille d’or au conservatoire de Roubaix 
2012 : création du Seddiki Jazz Band (SJB), association qui accompagne les musiciens de jazz régionaux à développer leurs projets  
2016 : naissance du Yannic Seddiki Trio avec Dimitri Delporte (batterie) et Yoann Bellefont (contrebasse). Cette même année, assure la première partie du pianiste Yaron Herman aux Arcades de Faches-Thumesnil 
2017 : prix du public Golden Jazz en Nord 
2021 : après Opus 1 paru cinq ans plus tôt, sortie de son deuxième album E-Life sous le label SJB Record 

https://yannicseddiki.com/

Prochain concert du Yannic Seddiki Trio, le dimanche 11 décembre à 20 h au Cirque, 139, rue des Postes à Lille.   

Texte : Joffrey Levalleux
Photos : Florent Burton
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