Du haut du terril 2bis d’Haillicourt près de Béthune, la vue donnerait presque l’ivresse des hauteurs. Avec une déclivité approchant par endroits les 75 %, il en fallait du culot pour planter ici des pieds de vigne. De l’audace, Olivier Pucek, originaire du bassin minier et propriétaire d’un petit vignoble en Charente, n’en manque pas. Il y a un peu plus de 10 ans, il convainc l’un de ses amis également vigneron, Henri Jammet, de se lancer dans l’aventure. « J’ai toujours pressenti que les terrils, des milieux pauvres, secs et chauds, étaient de bons terroirs pour faire du vin. Le chardonnay est un cépage adapté aux régions plus septentrionales comme la Bourgogne et la Champagne et donc idéal pour les terres du nord. Il donne un vin blanc de qualité car il est précoce en maturité », raconte-t-il.
Le maire d’Haillicourt, séduit, leur met à disposition les terres escarpées du terril communal. Les premiers plants de chardonnay sont plantés en 2011 sur « le flanc sud bien exposé, bien ventilé pour éviter les pourritures. La première récolte a lieu en 2013. » Les 3 000 pieds donnent en moyenne 1 500 bouteilles, dont 500 sont réservées à la mairie. Ce vin blanc né sur les rebuts du charbon, sans aucun traitement chimique, développe ses arômes dans le chai installé dans l’ancien presbytère de la commune.
Cep pas de la bibine
Il a fallu attendre 2018 pour que les douanes d’Épernay donnent enfin l’autorisation de commercialiser ce « Charbonnay », le nom de ce vin blanc né du jeu de mots entre charbon et chardonnay. Une SARL, Les Vins Audacieux, appuyée par une association baptisée 2bis & Tertous fait vivre cette initiative. Johann Cordonnier, agent municipal devenu vigneron, veille toute l’année sur ces vignes qui donnent une cuvée très intéressante selon les spécialistes. Il a par exemple conquis Aurélien Chuteaux, le caviste des Vins d’Aurélien à Lille qui le propose à la vente. « Le Charbonnay est un vin blanc sec très parfumé qui possède une trame aromatique étonnamment singulière. Il m’évoque des notes de bacon fumé. Le dernier millésime (2021) se démarque par sa bouche à la fois chaleureuse et salivante, puissante et sapide, enrobée d’un élevage affirmé mais maîtrisé. Les notes de fruits exotiques, d’agrumes et de vanille offrent une irrésistible appétence. » Avec quoi le déguster ? « Un waterzoï de poisson, une tarte à la tomate et à la moutarde, un risotto aux champignons, une terrine de sanglier, le poulet rôti du dimanche ou un plateau de fromages. » Si vous parvenez à en trouver encore une bouteille bien sûr… Sinon, vous pouvez observer les vignes depuis le belvédère du terril du Pays à Part ou assister aux vendanges, fin septembre, qui attirent toujours les foules.
Le Pas-de-Calais, c’est le pied
Les vignes d’Haillicourt ne sont pas les premières dans le Pas-de-Calais. Les plantations associatives sont nombreuses comme à Givenchy-en-Gohelle, où la municipalité décide de créer un petit vignoble dès 1997. Mais les initiatives de professionnels se sont multipliées récemment comme à Mentque-Nortbécourt, à Neuville-Saint-Vaast ou à Fresnicourt-le-Dolmen, à la faveur d’une réforme européenne. « Tout le monde pense que c’est en raison du réchauffement climatique mais pas du tout, expliquent Laurianne et Paul-Adrien Carbonnaux en nous emmenant sur leur coteau escarpé, planté de jeunes vignes entre ce village et Olhain. Même si le climat devient un atout, il faut savoir que jusqu’en 2016, on ne pouvait pas demander de droits de plantation pour des vins sans appellation dans notre région. »
Se diversifier, c’est ce qui motive ce couple d’agriculteurs céréaliers. Ils ont planté 1,5 ha de chardonnay en mars 2021 et tout récemment 50 ares de pinot gris, juste à côté des vignes du parc d’Olhain, en contrebas de l’arrivée de la Luge 4 saisons (voir notre encadré). « On entend les gens rire et crier quand on travaille sur le terrain » s’amusent-ils. Leurs vignes ont déjà fière allure, avec une vue directe sur le château d’Olhain. Jamais loin, Henri Jammet et Olivier Pucek les ont conseillés. « Il nous fallait un appui technique pour demander des autorisations de plantation, choisir la bonne parcelle, les bons cépages, les clones, etc. », explique Paul-Adrien. « L’idée est de faire un vin qualitatif. Nous avons planté assez serré (6 000 pieds/ha) pour stresser la vigne tout en profitant de ce coteau exposé plein sud avec une terre de type argilo-calcaire, » complète Laurianne. Elle qui s’est formée en œnologie à Lille commence un BTS Viticulture œnologie à Angers l’année prochaine. Si tout va bien, ils vous donnent rendez-vous pour les premières vendanges en 2023. Car ils comptent bien développer tout un projet touristique, avec des visites et des dégustations. In vino veritas.
L’attaque franche de Stacia Urbaniak
Elle ne mettra pas d’eau dans son vin. A 30 ans, Stacia Urbaniak, a du caractère et un projet tracé comme une vigne bien palissée : créer un vignoble en pays d’Artois. Actuellement responsable des 800 pieds de vigne de Cité Nature à Arras, la jeune femme a un parcours déjà bien charpenté. Après une licence de biochimie, elle part en Australie étudier l’œnologie. Un Master Science de la Vigne et du Vin à Bordeaux en poche, elle expérimente la production viticole intensive de Nouvelle-Zélande et des Côtes du Rhône avant de revenir dans le Pas-de-Calais avec une envie chevillée au corps : planter 8 000 pieds sur un terrain de la colline de Mont-Saint-Eloi, connue pour son patrimoine et son histoire. « Les tours de l’abbaye, le chemin de Compostelle, la présence de vignes autrefois au Moyen Âge : c’est l’endroit parfait ! », affirme-t-elle.
Mais le projet prendra du temps car il faut mettre au point une convention avec la mairie – enthousiaste, c’est déjà ça – demander les indispensables autorisations, planter, etc. Rendez-vous dans quelques années pour déguster « un riesling ou un chenin, pourquoi pas ? mais pas encore un chardonnay ! » Un futur grand cru, ça se mérite.
LA SOMME NE JOUE PAS LES SECONDS COTEAUX
D’ici quelques jours auront lieu les vendanges à Terramesnil. Nous sommes à dix kilomètres au sud de Doullens sur une parcelle cernée de champs de luzerne. On est loin des Châteaux-Machin-Chose référencés dans le célèbre Guide Parker mais avec ses 3,5 hectares de chardonnay (2/3) et pinot noir (1/3), la Cour de Bérénice1 n’a vraiment pas à rougir. Plantées en 2017 sur un sol argilo-limoneux où affleure le silex, les vignes de Maximilien et Sarah de Wazières font carton plein. Cette année, la récolte qu’ils espèrent particulièrement fructueuse compte tenu de l’ensoleillement devrait donner 15 000 bouteilles. Soit trois fois plus que l’année passée… Mais il faudra être patient pour déguster ce vin subtil puisque le blanc et le noir vieillissent réciproquement 14 et 18 mois en fûts de chêne. Alors, ne lâchez pas la grappe.
1 Bérénice est le prénom de la fille de Sarah et Maximilien. Raoul, le fiston, attend son tour…
Infos pratiques
- Les vendanges du terril d’Haillicourt ont souvent lieu le dernier week-end de septembre. Se renseigner auprès de la mairie : 03 21 52 04 81. Le Charbonnay est en vente chez Les Vins d’Aurélien à Lille et Les Caves Delépine à Béthune.
- Les vendanges du parc d’Olhain auront lieu fin septembre ou mi-octobre (date indéterminée). Infos sur Facebook : @parc.dolhain, http://parcdolhain.fr et Tél. : 03 21 27 91 79
- Les vendanges de Cité Nature à Arras auront lieu le dimanche 2 octobre. www.citenature.com Tél. : 03 21 21 59 59
- La Cour de Bérénice, 45, Grande rue à Terramesnil. Tél. : 03 22 77 20 70- www.lacourdeberenice.fr Disponible à la Cave de Martigny à Amiens, sur place ou via le site web.
RANDO / BALADE LE NEZ AU VIN
Les vignes du parc départemental d’Olhain, 6000 pieds de chardonnay et pinot gris, seront vendangées pour la première fois cette année. Plantées il y a trois ans, toujours en collaboration avec les incontournables Olivier Pucek et Henri Jammet, elles sont visibles depuis l’itinéraire de randonnée « La Table aux fées » au départ de Fresnicourt-le-Dolmen. Cette jolie promenade de 11 km vous mènera à la découverte de la forêt et du château d’Olhain, du dolmen de Fresnicourt et du golf d’Olhain.
Le parcours est téléchargeable sur www.tourisme-bethune-bruay.fr/a-voir-a-faire/s-eclater-au-grand-air/la-table-aux-fees-2563758