Nous sommes le samedi 15 avril 1927. Il est 18 heures. Toute la ville de Saint-Quentin est là pour assister à un événement sensationnel : l’ouverture du grand magasin des Nouvelles Galeries. Et comme le soulignent les chroniques de l’époque, « tous les Saint-Quentinois se souviendront de cette journée […] On s’attendait bien à voir un beau magasin. Mais tous nos espoirs ont été surpassés. On peut dire sans exagérer que Saint-Quentin a le plus beau, le plus majestueux magasin de province ».
Un symbole du renouveau
La réouverture des Nouvelles Galeries est vécue comme un événement qui dépasse en effet largement l’aspect commercial. Sept ans après l’Armistice, dans une ville en grande partie ruinée, que les Allemands avaient occupée dès le début du conflit et qui avait été la cible des bombardements massifs de la part des forces alliées, Saint-Quentin panse encore ses plaies. Avant-guerre, l’ancien Grand Bazar de Saint-Quentin qui avait pris le nom de Nouvelles Galeries vers 1908, était une institution commerciale. Elle avait été créée en 1894 par Antoine Delherme qui avait rejoint les quelques magasins de nouveautés et articles de Paris qui s’étaient développés depuis le milieu du XIXe siècle dans cette ville textile. D’extensions en extensions, le magasin avait fini par englober pratiquement tout l’îlot d’immeubles et s’appuyait contre les murs de l’église Saint-Jacques et de son clocher.




Mais durant la guerre, cet élément qui formait un point d’observation stratégique, fut régulièrement bombardé. Si bien qu’en 1918, les Nouvelles Galeries toutes proches n’étaient plus qu’un amas de ruines. La reconstruction amorcée en 1922 fut une aubaine qui permit de donner de la cohérence aux agrandissements successifs et d’afficher l’ambition d’Antoine Delherme. Il souhaitait que ses « façades offrent un caractère artistique […] et que son magasin devienne un des plus importants de province en donnant un essor spécial à la ville de Saint-Quentin ». Et pour cela, il s’adressa à Sylvère Laville, un architecte reconnu dans ce type d’établissement. Cinq ans plus tard, son vœu était exaucé.
Un décor époustouflant
Derrière la façade de béton armé de la rue de la Sellerie, largement éclairée et signalée en couronnement par les deux « phares commerciaux » entre lesquels court une large frise de motifs floraux stylisés et de cocottes en papier, s’ouvre l’un des joyaux oubliés de l’Art déco. Fermé dans les années 1960, il aurait pu tomber dans l’oubli, et peut-être être détruit si les Journées européennes du Patrimoine de 2012 n’avaient pas été l’occasion de le redécouvrir. Malgré certaines transformations comme la suppression de l’escalier monumental ou l’obturation des grandes verrières qui éclairaient les deux atriums, on reste impressionnés de cette monumentalité aérienne, de cette richesse ornementale, où tout tient de l’équilibre entre foisonnement et motif unique entre ces couleurs jaune d’or, réhaussés de cabochons blancs et soulignés de rouge, et la variété de dessin des garde-corps des étages du magasin, entre le béton brut et l’élégance des staffs, et surtout par ces colonnades cannelées d’inspiration égyptienne.
Le lieu, qui depuis 2016, accueille régulièrement des expositions temporaires – la prochaine sera consacrée à l’univers de la boxe à Saint-Quentin pourrait retrouver à l’avenir une ouverture permanente qui associerait vocation culturelle et commerciale.
Mais quel beau bazar ici !
Au XIXe siècle, un bazar n’a rien de péjoratif. A Saint-Quentin comme ailleurs, le bazar est, à l’inverse des magasins de détail, un lieu de commerce où l’on vend toutes sortes d’objets : des articles de ménage aux articles de sport, de la vaisselle aux bijoux, des jouets aux parfums, des chapeaux à de la literie, des meubles à… des couronnes mortuaires ! Apparus dans les années 1820 à Paris, ils gagnent toutes les villes de province dans la seconde moitié du 19e siècle (XIXe), dont Saint-Quentin. Le jour de son l’inauguration en décembre 1894, le Grand Bazar Delherme promet une « mise en vente de jouets et d’objets pour les étrennes ». Innovation ultime d’avant-guerre, le premier étage accueillera un cinéma, une « machine chantante » et des attractions à base de rayons X : un combo commercial et ludique efficace.

Le Printemps de l’Art déco en pratique
Du 1er avril au 28 mai dans tous les Hauts-de-France.<br> Visite guidée des Nouvelles Galerie de Saint Quentin (14 rue de le Scellerie)
Consultez les dates et horaires :
Gratuit sur réservation auprès de l’Office du Tourisme du Saint-Quentinois :<br> 03 23 67 05 00
