Respect et humilité
Lorsqu’il dessine sa magistrale Fallingwater house (Maison sur la cascade), Frank Lloyd Wright n’y va pas avec de gros feutres conquérants. Au contraire. Ses plans, bien que résolument modernes, épousent la végétation sans en briser la magnificence. D’ailleurs plus le temps passe – la bâtisse a 80 ans passés – plus les clichés aériens montrent combien l’architecte américain a poussé l’art du camouflage. Toutes proportions gardées, Tibo Dhermy a la même posture quand il imagine son refuge à Saint-Quentin-en-Tourmont (Somme) à 6 000 km de la Pennsylvanie. « Je n’imaginais pas une seconde m’imposer, commence-t-il par dire comme une évidence.
D’ailleurs, après avoir tracé ce grand « U » de 50 mètres de long sur 12 de large, son premier réflexe est « de rendre à la nature ce qu’[il] vient de lui prendre. » Il le fait en créant une toiture végétalisée de 400 m² plantée de sedum, des plantes succulentes capables de survivre dans un pouce de terre. Sa démarche ne s’arrête pas là. C’est à peine perceptible mais quand on fait un arrêt sur image sur la façade en bois de mélèze, on remarque que toute la maison est surbaissée de 30 centimètres par rapport au jardin. Comme si elle faisait une révérence perpétuelle à cette nature qui l’accueille en son sein.
Des voyages inspirants
Le point de départ de la réflexion architecturale de Tibo Dhermy, pour ne pas dire son alpha et son oméga, c’est bien l’environnement. « La baie de Somme est l’un des secteurs les plus préservés de France. C’était inimaginable de dénaturer ces lieux. » Quand, en 2006, son regard se pose pour la première fois sur ce terrain du bout du monde entièrement tapissé de jacinthes, Tibo y voit déjà pousser des poiriers nashi de l’île de Kyushu au Japon. Photographe professionnel pour des titres prestigieux (Géo, National Geographic), comme les Clochards célestes de Kerouac1, il passe les trois-quarts de sa vie à l’autre bout du monde. Sur les rives du lac Baïkal (Sibérie), au Royaume de Mustang (Népal), en Alaska. « Ce sont les voyages qui ont inspiré cette maison », poursuit l’éternel baroudeur. Une maison toute simple avec de grandes baies vitrées orientées plein sud « pour permettre au soleil de passer à travers les feuilles [on parle de Komorebi au pays du Soleil Levant, ndlr] et de mettre en avant toutes les transparences. Y compris celles des bassins qui représentent le yin. A savoir la féminité. » Depuis la terrasse, le feu du yang se perçoit quant à lui dans le salon où descend une cheminée telle une stalactite.
« Ce sont les voyages qui inspiré cette maison »
L’art de l’épure
Dans le salon de Tibo Dhermy se trouvent une Triumph anglaise, une table basse tatami japonaise, une statue indonésienne, un kayak inuit du Groenland et sa paire de pagaies allongées. On remarque aussi ces photos géantes de samouraïs. Attenante à cette pièce très zen, la cuisine ne dépare pas. On y retrouve les codes de Tibo, notamment la fonctionnalité chère à ce fin cuisinier qui ramène du jardin des bouquets de menthe aquatique et de lierre terrestre. « Je voulais que tout soit à portée de main », explique-t-il. Légèrement surélevé, le plan de travail se poursuit par une table surplombée d’un dôme doré.
Sur le flanc est et nord, selon les règles du Feng shui, on retrouve en toute logique les chambres. Une fois encore, rien de superflu. Tout comme les plans de la maison respectent la nature, le soleil s’y invite sans ingérence. On notera la baignoire japonaise en bois d’hinoki avec vue plongeante sur un érable. Et aussi une liste d’invités dont les noms se lisent en penchant la tête : les photographes Steve McCurry et Irving Penn, l’écrivain Yasunari Kawabata, le paysagiste Gilles Clément et bien sûr, Jack Kerouac. Sûr que le vagabond aurait trouvé ce refuge à son goût. Ne serait-ce que pour y ressentir l’incommensurable puissance du silence.