Paysans du Ciel à la Terre
champs du signe

Photographe aérien, Philippe Frutier observe depuis 25 ans les paysages agricoles. Choqué d’observer des coulées de boue qui dévalent des champs, il raconte dans un film-enquête comment il est allé à la rencontre des agriculteurs pour comprendre ce phénomène et explorer des solutions pour redonner vie aux sols. 
Par Marie-Laure Fréchet
affiche-CULTURE

Les images sont saisissantes. Vu du ciel, impossible de ne pas être frappé par ces coulées de boue qui strient les champs. Photographe aérien et fils de paysan, Philippe Frutier a vite compris à bord de son ULM qu’au-delà des clichés spectaculaires qu’il pouvait réaliser, il était le témoin privilégié de la souffrance des terres agricoles. « Depuis que je vole, je vois ces coulées. Au début, c’était très localisé dans le Montreuillois. Mais depuis ces dix dernières années, le phénomène s’est aggravé et étendu de l’Artois à la Somme », témoigne-t-il. En cause, les labours profonds et l’utilisation d’intrants chimiques qui déciment la faune des sols. En particulier les lombrics qui aèrent naturellement la terre en creusant leurs galeries. Sans eux, pas d’effet « passoire » ; les eaux de pluie ne pénètrent plus dans les sols et ruissèlent, occasionnant des coulées de terre, celle-là même sur laquelle comptent les agriculteurs. Face à ce phénomène, Philippe Frutier a décidé de tirer la sonnette d’alarme. « Si on n’est pas en l’air, on ne peut pas s’en rendre compte », explique-t-il. Pourtant il y a urgence. Comme le rappelle le biologiste Marc-André Selosse qui contribue précieusement à ce documentaire éclairant,  70 % des sols sont dégradés à l’échelle de la planète. “L’avenir de l’humanité sera ou ne sera pas selon la façon dont nous gérons nos sols”, alerte-t-il. 

Un passeur bienveillant 

Ni scientifique ni journaliste, le photographe n’avait à sa disposition que la force de l’image. Le projet d’un film s’est donc imposé. Restait à le concrétiser et cela n’a pas été chose aisée. « Dès le début, j’ai cherché à m’entourer d’une équipe professionnelle, mais personne n’a voulu nous suivre », raconte-t-il, rejoint par Hervé Payen, responsable Artois de l’association Colibris, qui accompagne des initiatives éco-solidaires. Pour ce militant aussi, ça a été le baptême du feu. « Je suis arrivé dans ce projet sans le faire exprès et sans autre expérience que l’animation de débats », explique-t-il. Propulsé réalisateur, il lui a fallu s’adapter. « Je ne voulais pas écrire, mais tout mettre bout à bout » L’équipe a pu aussi compter sur Agathe Vannieu, co-autrice et compositrice de la musique du film.  

Auteur-narrateur, autant que passeur toujours bienveillant, Philippe Frutier est donc parti à la rencontre de ceux qui cultivent la terre afin de mieux comprendre comment ils  peuvent concilier impératif de production et préservation des sols. Agriculture de conservation (pas de labour, mais utilisation de désherbant) ou bio (pas de désherbant mais pratique du labour), plusieurs pistes sont explorées dans un film qui ne prend volontairement pas parti. « On aurait pu choisir de montrer les méchants mais on a voulu ouvrir le dialogue, explique Philippe Frutier, conscient que le sujet est clivant. Il y a dix ans, on n’aurait pas pu faire ce film. » 

Au final, il a fallu plus de trois ans pour réaliser Paysans du ciel à la terre, captivant documentaire qui touchera les plus hermétiques aux questions d’écologie et d’agriculture par son approche limpide et humaine. La plus mince affaire n’a pas été de boucler le budget, sans aucune subvention que ce soit du monde du cinéma ou de celle de l’agriculture. « Deux mondes un peu compliqué », souligne Hervé Payen avec un art consommé de la litote. Un crowdfunding, toujours en cours, a permis de rapporter près de 20 000 €. L’équipe compte maintenant sur la recette de la sortie en salle. Car ces petits poucets du cinéma ont réussi à faire projeter leur documentaire sur grand écran un peu partout en France. Une dizaine d’avant-premières ont fait salle comble avant la sortie officielle le 11 mars.  Depuis, Hervé Payen mesure le chemin parcouru. « Je n’ai jamais lâché. C’est comme si le film avait une âme et demandait à exister. Et c’est fabuleux de passer aujourd’hui dans ces grandes salles. » S’il touche indubitablement le public, espérons que son message ruisselle jusqu’à ceux à qui ont a confié la mission de nous nourrir. 

VOIR LE FILM

Sorti en salle le 11 mars dans toute la France, le film est encore programmé dans certaines salles ou lors de projections particulières. Programme sur le site :

www.paysansducielalaterre.fr 

Toujours sur le site, on peut aussi faire un don de soutien qui donne en contrepartie un lien de visionnement pérenne lors de la sortie en VOD.

Texte : Marie-Laure Fréchet
Altimage – Philippe Frutier
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