Par une matinée froide d’hiver, elle se pelotonne dans son grand gilet comme un moineau transi. C’est son jour de congé, mais la frêle jeune femme a déjà prévu de passer du temps au laboratoire de pâtisserie où l’attend une grosse commande. « Entrepreneur, c’est H24 », rappelle-t-elle. A quelques jours de Noël, les clients défilent. « Mon petit-fils est allergique aux fruits à coques et je voudrais commander une bûche », tente une cliente, avant de repartir ravie. C’est que dans cette petite pâtisserie de quartier, non loin des Halles d’Amiens, chacun trouve son bonheur. Entre les murs délicatement poudrés, pas de grandes vitrines débordantes, mais une sélection de pâtisseries bienfaisantes. Un projet que Margot Servoisier a soigneusement mûri.
« Dans ma famille, il n’y a ni artisan ni entrepreneur », raconte-t-elle. Elle-même était promise à un tout autre avenir. Forte en maths, cette Beauvaisienne d’origine se dirige vers un master de finance. « Mais j’étais trop malheureuse. Pire, on me disait que ma sensibilité était un défaut pour ce métier. » Elle se souvient alors qu’elle a toujours aimé faire de la pâtisserie et plaque tout pour entreprendre un CAP à la grande école de cuisine Ferrandi à Paris. C’est ensuite aux côtés du pâtissier parisien Sébastien Gaudard, connu pour sa maîtrise des grands classiques, qu’elle poursuit son apprentissage. Après plusieurs expériences dans des restaurants, Margot décide finalement de rejoindre Amiens « par amour » et se lance dans le projet d’ouverture d’une pâtisserie. Elle ouvrira Les Gâteaux de Margot en octobre 2019, quelques mois avant le début de la crise du Covid.
Du beau et du bon
D’emblée, la jeune pâtissière a choisi de se démarquer en proposant des gâteaux privilégiant des ingrédients bio, vegan et sans allergènes. « C’est parti de ma propre expérience, explique-t-elle. Mon corps ne supporte pas certains aliments. » Aussi source-t-elle ses produits avec soin. La farine, semi-complète, vient d’un producteur local (Graine et Grignote, à Rouvroy-les-Merles). Les œufs du marché bio, les fruits de la ferme des Tilleuls à Gentelles. On ne trouvera ni fraises ni framboises en hiver sur les tartes, mais des pommes locales ou des mandarines corses. Pas de colorant classiquement utilisé dans la pâtisserie comme le carmin, « des cochenilles mortes » précise-t-elle, mais de la poudre de betterave. Dans la religieuse, pas d’arôme, mais du vrai café bio. « J’ai beaucoup travaillé mes recettes », précise la jeune femme. Une gamme goûter vient compléter l’offre des pâtisseries de dessert, comprenant par exemple des cookies, des pains d’épices ou des madeleines, le tout réalisé avec du sucre de coco, dont l’indice glycémique est plus bas que le sucre ordinaire. « Notre clientèle vient avant tout car elle trouve nos gâteaux beaux et bons », insiste pourtant Margot. Sans doute aussi parce qu’elle sent la bonne énergie d’une équipe 100 % féminine que l’on voit s’activer dans l’atelier vitré. « Je veille à ce que tout le monde se sente bien », confirme la jeune cheffe d’entreprise.


Un restaurant responsable
Depuis quelques mois, la pâtissière est aussi à la tête d’un restaurant. Un concours de circonstances lui a permis d’obtenir un local dont elle est tombée sous le charme. Avec un vrai talent de décoratrice, elle a su mettre en valeur les superbes verrières pour en faire un lieu chaleureux. Elle y propose des plats végétariens le midi, un brunch le dimanche et un salon de thé l’après-midi. Margot a choisi pour enseigne Le Colibri. Ce nom d’oiseau n’est pas un hasard. Il fait référence à la fable du colibri, popularisée par l’écologiste Pierre Rabhi, et symbolise l’importance de chaque geste pour protéger l’environnement. L’oiseau orne aussi les boîtes à gâteaux de la pâtisserie. Dans son restaurant, la jeune femme veille donc à limiter les déchets et bien évidemment à travailler avec des produits locaux. « Je ne transige que sur l’avocat, car mes clients en réclament », avoue-t-elle.
Malgré les heures de travail qui s’accumulent, Margot imagine encore de nouveaux projets, comme des cours de pâtisserie par exemple. « C’est quand on est jeune qu’il faut se lancer, quitte à faire des erreurs. Oui, l’entreprenariat c’est dur, on doit faire un peu tous les métiers, mais on est libre… de gérer ses 80 h par semaine », sourit-elle. Petit colibri oui, mais bien déterminé à voler à tire-d’aile.
