Louise Lestavel, continuer à se batte

Sa section cricket au sein de l’ASPTT Arras permet à des dizaines de réfugiés afghans de reprendre le cours de leur vie. À 28 ans, Louise Lestavel fait de ce sport d’équipe méconnu chez nous une passerelle culturelle. Un terrain d’entente.
Par Joffrey Levalleux
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Le cricket ?

Trop facile. C’est cette discipline collet monté qui se joue à cheval ? À moins que ce ne soit « ce truc avec des machins plantés dans le sol. Vous savez comme dans Alice au Pays des Merveilles ? » Quand elle en parle, Louise Lestavel arbore un sourire magnanime qui en dit long sur sa propre expérience. La première fois qu’elle regarde une vidéo sur le net, la jeune femme est comme tout le monde : elle ne comprend rien aux règles d’un sport qui voit s’opposer deux équipes de onze joueurs sur un ovale gigantesque1. Ce qui la sidère n’est pas tant que le cricket se joue avec une batte plate et une balle recouverte de cuir – le base-ball n’est pas bien différent – mais que ce soit le second sport le plus pratiqué au monde après l’hégémonique football. « C’est là que j’ai compris pourquoi ils voulaient tous sans exception le mettre dans leur CV. »

Nous sommes en janvier 2017. Louise Lestavel enrichit son master Langue et management interculturel en qualité de stagiaire au sein de l’AUDASSE2 d’Arras. Les fameux « ils » sont Afghans. Des réfugiés qui ont fui misère et conflit avant de se retrouver face à elle dans l’espoir de jours meilleurs. Des mineurs dans une écrasante majorité, coupés de leur famille. Alors quand elle comprend que le cricket peut être un élément constructif, elle attrape la balle au bond.

Dates clés

10 mai 1994 : naissance à Lens
Janvier 2017 : découvre le cricket sur YouTube
Septembre 2017 : réunit un noyau dur de joueurs afghans à Arras
Septembre 2018 : crée la section cricket au sein de l’ASPTT Arras
Avril-octobre 2022 : les Aigles participent pour la première fois à la Coupe de France de Cricket.

Les Aigles ont un nid

Louise a fait un peu de judo, de la danse aussi, beaucoup d’athlétisme. Essentiellement du 200 et 400 mètres. Entre sportifs, on se comprend d’accord « mais je ne parlais pas un mot de Pachtou… » Créer une équipe de cricket n’a pas été une mince affaire même si l’anglais facilite le dialogue. Les débuts ont lieu au printemps 2017 dans le parc du Rietz Saint-Sauveur derrière la gare d’Arras. Une vaste plaine davantage prévue pour les balades en poussettes que pour les duels batsmen (batteurs) versus bowlers (lanceurs) sur un pitch (piste).  Mais en septembre, tout change. Louise convainc l’ASPTT Arras du bien-fondé de sa démarche. Les premiers joueurs de cricket rejoignent la section base-ball au complexe Grimaldi. Un an plus tard, ils obtiennent leur autonomie, un nom – les Aigles – et surtout une mémorable raclée aux premiers HDF Cricket League. Mais qu’importe. Ses « petits frères », comme elle les surnomme avec affection, gagnent en confiance. Ses réfugiés ont désormais un nid. Et l’occasion de faire découvrir leur sport national en se déplaçant dans les lycées ou à l’occasion d’une chasse aux œufs. Mais le sport n’est pas tout. « Quand je les recevais à l’AUDASSE, on abordait des sujets comme la mensualisation d’un contrat EDF ou l’importance de la sécurité Sociale en France. Il faut qu’ils comprennent que le cricket n’est qu’un tremplin provisoire, admet Louise Lestavel. Il faut voir plus loin, faire preuve de bonne volonté. »

Voler de ses propres ailes

Et pourquoi pas, prendre exemple sur Hamza, flamboyant capitaine de l’équipe arrageoise qui a obtenu coup sur coup son bac pro et son permis avant d’ouvrir deux fast-food ? Mais contrairement à Shams qui, quand il est arrivé au club « faisait deux têtes de moins que moi pour en faire deux de plus aujourd’hui, Hamza n’a pas obtenu la nationalité française. Trop âgé quand il est arrivé », regrette Louise. Aujourd’hui, elle se réjouit quand même. Nawaz, préparateur de commande a enfin son appart’. Et Wesal l’intellectuel, malgré toutes les menaces qui pèsent sur lui, a trouvé un emploi. 

Et elle dans tout ça ? « Moi ? Je continue », dit-elle sans plastronner. Epaulée par sa famille – sa propre mère est secrétaire de la section -, celle que rien ne semble être en mesure d’arrêter poursuit sa quête malgré les vents contraires. À commencer par un recrutement en dents de scie. « Pour les + 19 ans, l’effectif est correct mais on peine à recruter en – 19 ans. » Quant à une hypothétique équipe féminine, elle manque cruellement de joueuses. Onze en fait… « Il n’y a que moi. Donc pour intégrer un championnat, j’ai dû m’inscrire à Lisses dans l’Essonne. » La bonne nouvelle, c’est qu’au cricket, c’est la météo qui dicte le calendrier. Dans l’hémisphère nord, la saison des matchs débute donc au printemps et se termine l’automne venu. « Avis aux amateurs. Même non Afghans ! » L’autre bonne nouvelle, c’est qu’en septembre dernier, les Aigles ont fini 3e du Championnat des Hauts-de-France. Comme on dit « Shabash !3 »

1. De forme ovale, l’aire de jeu mesure grosso modo 150 mètres de long sur 100 mètres de large. Au centre se trouve la piste où batteurs et lanceurs s’affrontent.  

2. Association Unifiée pour le Développement de l’Action Sociale Solidaire et Emancipatrice.

3. Bravo !

Texte : Joffrey Levalleux
Photos : Florent Burton
01 février 2023
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