Dans le silence de ce petit matin d’hiver glacé (il fait -5°C) de hautes clameurs montent : une scène d’émeute est en cours. Près de 30 ans après le film de Claude Berri – un succès cinématographique avec 6 millions d’entrées – une nouvelle adaptation du roman d’Emile Zola, télévisée cette fois, est en préparation. 6 épisodes de 52 minutes nous ramènent finalement à la forme initiale de cette épopée littéraire : « Germinal » est édité pour la première fois sous la forme de roman en mars 1885 dans un quotidien, Gil Blas. Le premier manuscrit est même conservé ici, dans les archives du Centre Historique Minier de Lewarde (voir notre encadré).

Alors quoi de neuf sous les gueules noires ? « La version de Claude Berri, plutôt réussie pour l’époque, a vieilli, explique Nicolas Trabaut, le directeur de production de Banijay Studios. Cette série sera beaucoup plus moderne, tout en restant extrêmement fidèle au texte. Nous formons une jeune bande de quarantenaires [NDLR : David Hourrègue, le réalisateur est connu pour la série « Skam » par exemple], France Télévisions nous fait confiance sur le tournage de ce qui est clairement le plus gros budget du moment… Notre « Germinal » s’inscrit pleinement dans les films de plateforme d’aujourd’hui, avec une modernité dans l’image, l’ambition du mouvement et de la narration. Travailler en épisodes permet de se rapprocher des personnages et de s’intéresser à l’humain de manière beaucoup plus profonde. »
Lewarde, un tournage improbable
L’équipe s’est installée pour 5 jours à Lewarde, dont 3 de tournage effectif. Un énorme travail au préalable a été fait : la fosse Delloye date de l’entre-deux-guerres, alors que « Germinal » s’inscrit dans le contexte de la fin du XIXe siècle. Isabelle Quillard, la chef déco, a effectué avec ses équipes un travail titanesque : installation de fausses portes, de rails, d’étagères à outils, pose des berlines sur les rails… L’illusion est totale pour faire revivre, ce qui sera dans l’épisode 4, la fosse Jean-Bart, là où certains mineurs décident de casser le mouvement de grève générale, déclenchant une révolte… « A l’écriture, la séquence n’était pas imaginée ainsi, continue Nicolas Trabaud. Elle devait être tournée sur le carreau de fosse du 9-9 bis à Oignies. Mais des failles structurelles dans les deux chevalets ont amené l’équipe à chercher un autre lieu. » Le CHM étant un musée, il aurait été, en temps normal, impossible de tourner ici. Mais la Covid-19 est passée par là. « Le musée affichant portes closes pour les visiteurs*, ce tournage est une chance. Quel plaisir de voir les lieux revivre ! » témoigne Karine Sprimont, la chargée de communication de CHM. C’est d’ailleurs ici, dans les archives, « que le travail avait commencé il y a plus d’un an, pour coller au plus près de la réalité et éviter les anachronismes », précise Nicolas Trabaud.
Une aventure humaine
L’humain justement, est au cœur du projet démarré en octobre dernier. Ce jour-là, ils ne sont « que » 80 figurants sur les 2 400 nécessaires pour les 73 jours de tournage de la série. « Ils sont extrêmement mobilisés, lance Nicolas Trabaud. Ce sont tous des gens de la région ! » 150 personnes au total évoluent ce jour-là sur les lieux.
Le restaurant le Briquet accueille les loges. C’est le domaine de Jacques Mazuel, le chef costumier. Au milieu des housses, des chaussures boueuses, et des linéaires de cintres, il témoigne d’une expérience « riche en émotions et en rencontres » et « un métier qui lui donne la liberté de découvrir des univers différents. » La série nécessite 700 costumes « dont 120 de mineurs, entièrement créés. Multipliez par 3 si vous comptez le nombre de pièces : gilets, pantalons, etc. Cela demande de l’organisation, quand 19 mineurs doivent s’habiller ensemble d’autant plus avec les distances sanitaires imposées en ce moment ! » Encore une fois, c’est auprès des archives de Lewarde qu’il a trouvé les ressources documentaires : « par exemple ces casques de mineurs, montre-t-il… Nous les avons recréés pour être fidèles au contexte historique. » Que deviendront tous ces costumes ? « Ils seront revendus », après avoir été raccommodés et lavés dans le pressing d’un ESAT à… Denain. Un tournage de ce genre apporte déjà des retombées au territoire.
Le CHM de Lewarde, mémoire de la mine
Avant de devenir la mémoire de la mine, en mai 1984, la fosse Delloye a connu 40 ans d’exploitation, de 1931 à 1971. Hérité de la Compagnie des Mines d’Aniche, le site est choisi dès 1973 par les Houillères, bien avant l’arrêt définitif de l’exploitation minière régionale, pour être celui qui conserverait le patrimoine minier. Ce carreau déserté accueille au fil du temps le matériel déclassé des fosses environnantes, et préfigure ainsi l’une des plus importantes collections minières françaises. Le site a conservé de nombreux bâtiments : salle des machines, triage, lampisterie, salle des Pendus mais aussi scierie, atelier, magasin et chaufferie. Un décor idéal. A cela s’ajouteront 450 mètres de galeries reconstituées, pour immerger les visiteurs au fond et raconter l’évolution technique de l’exploitation minière. Si le CHM raconte tous les aspects historiques, industriels, culturels, sociaux de la mine, il est aussi un centre de recherche et d’études reconnu avec plus de 500 000 supports photos, 600 films et 2,5 km d’archives papier…
Le point de vue de Virginie Malolepszi, directrice des Archives du CHM
« Le tournage de cette série permet de valoriser nos fonds d’archives. En 2016, nous nous étions déjà intéressés à ceux qui avaient écrit la mine, dont Emile Zola bien sûr. Cela a donné lieu à une grande exposition : « Germinal, fiction ou réalité ». C’est aussi ça le rôle d’un musée : réinterroger les œuvres. Zola est venu dans le bassin minier en 1884 pour se documenter. Tout le propos de cette expo était de s’intéresser à la manière dont il a retranscrit cela dans son roman. Nos archives sont extraordinaires, elles racontent tout ce qui fait la culture minière au sens large, et nous continuons à acquérir des œuvres régulièrement. Nous collaborons à 4 à 5 grands documentaires internationaux par an. Pour ce film, nous avons travaillé avec les équipes de tournage sur des détails parfois très précis comme les types de cuvelage, comment fonctionnaient les puits, les cages, les berlines. Pour l’aménagement des bureaux de la Compagnie des Mines d’Anzin, on a retrouvé des papiers peints de l’époque montrés aux décorateurs. » La justesse de la série résidera en particulier dans la finesse de ces détails.
Galerie de gueules noires
« Silence sur le plateau ! Action ! » : « Fumiers ! Fumiers ! », les insultent volent. Des mineurs se battent sans retenue. Ça cogne, ça s’empoigne, ça crie, sur fond de fumée, poutres et briques.

Parmi eux, il y a Sébastien Labie, un figurant pas tout à fait comme les autres. Il est cascadeur, doublure, dernièrement, d’Olivier Marchal dans « Bronx », diffusé en octobre 2020 sur Netflix. « Nous sommes entre 8 et 12 de la Team Cauderlier. Mon rôle aujourd’hui, c’est d’incarner l’un des mineurs en grève qui se bat contre ceux qui reprennent le travail. Nous assurons les scènes les plus spectaculaires, avec coups de poing, caisses qui volent, passage au-dessus des tables et chutes dans tous les sens. Ma mère est de Cambrai, alors oui, ce film me parle. On ne peut qu’être touché par ce projet, qui, en plus développe la psychologie et la profondeur des personnages. »
Un peu plus loin, trois mineurs avancent au coude à coude. Guillaume, Abdel et Ayoub, trois copains lillois fans de cinéma, réalisent eux-mêmes des projets. Ils voulaient être là pour apprendre et profiter de cette expérience : « cette histoire résonne fort pour nous qui sommes du Nord. On connaît des générations d’avant qui sont passées par la mine. Sur ce tournage, il y a une super ambiance, c’est familial. Même si nous sommes seulement figurants, on est considérés par le réalisateur David Hourrègue qui a toujours un mot pour nous. On est accueillis chaleureusement tous les matins, et même s’il fait froid aujourd’hui, on se régale ! »
Guillaume, Abdel et Ayoub, trois figurants du film, ravis d’être là pour apprendre
Un mineur trapu s’approche… Fabrice Lodyga a la gueule de l’emploi ! Fonctionnaire de police, originaire du bassin minier il joue un dur à l’écran, un mineur gréviste. « Je suis un passionné de cinéma. J’ai déjà fait pas mal de figuration, dernièrement pour la série « Baron Noir » c’est ainsi que j’ai été repéré pour ce casting. Faire « Germinal », ça me tenait à cœur. Mon beau-père était mineur à Wallers-Aremberg, il est décédé cette année, confie-t-il. Alors oui, c’est à la fois génial et émouvant de jouer ce rôle. C’est mon 6e jour de tournage. J’étais présent à Marchipont et à Oignies, j’ai joué l’homme de main de Guillaume de Tonquédec (NDLR : le directeur de la Compagnie des Mines de Montsou), j’ai hâte de voir le résultat à l’écran ! »
Nous aussi ! Rdv en fin d’année, sur France 2…
Fabrice Lodyga, de fonctionnaire de police à meneur de grève.