« Les gens en ville ont tendance à regarder leurs pieds. Moi je les invite à lever les yeux. Car de plus en plus d’artistes de renom et des talents locaux ont pu s’approprier les murs et façades de bâtiments amiénois en utilisant des approches différentes selon leurs styles, abstrait ou figuratif et selon leurs techniques, pochoirs, aérosols ou collages par exemple, » invite Kwes Kondi dont les origines ghanéennes sont subtilement présentes dans ses œuvres. Pour lui, l’aérosol c’est de la bombe. C’est comme son crayon, son outil de précision qui lui donne le flow, cette liberté instantanée. Avec cet élan de couleurs qui transcrivent les émotions. « Les couleurs c’est la vie ! »
« J’étais un peu timide. Quand on est introverti, dessiner est une façon de s’évader. »
Le lettrage ou la puissance du propos
Il fait ses débuts dans ce milieu, encore confidentiel, du street art à la suite de sa rencontre avec l’artiste amiénois Juan Spray. Avec lui, il fonde l’association Rêve Lucide pour mener des ateliers d’initiation aux graffitis pour les enfants lors d’interventions scolaires. C’est d’ailleurs tout petit que Kwes Kondi commence le dessin. Cet enfant calme reproduit des animaux puis, plus grand, il associe des jeux de mots à des images. « J’étais un peu timide. Quand on est introverti, dessiner est une façon de s’évader. » Très vite, son goût s’affine vers le lettrage, la calligraphie. Il aime dessiner des lettres, leur donner une forme qui influence la lecture. « Quand tu baignes dans le milieu hip hop des quartiers et de la culture rap, tu vois forcément ça passer. Car l’art urbain c’est aussi des mots. Pas besoin de savoir bien dessiner pour faire du street art, » poursuit celui dont le personnage récurrent sur ses graffitis est Monsieur Gratitude.
Le mur devient sa page blanche
De mur en mur, Kwes Kondi pratique son art, s’améliore, se rassure et prend plaisir. « Quel kif en effet de voir son dessin en grand ! » Au fur et à mesure, il rencontre d’autres artistes qui lui apprennent d’autres techniques et à voir encore plus grand. Ce fut le cas avec l’artiste Golf, un graffeur très expérimenté. « C’est avec lui et le collectif Cache Misère que j’ai pris goût aux dessins de grandes tailles. On sort l’échelle la plus grande et c’est parti pour des œuvres de plus de 6 mètres de haut. » La Briqueterie à Amiens est l’un de ses lieux de prédilection pour exercer son style. Mais il ne cesse de chercher, comme tout bon graffeur, de nouveaux spots où œuvrer comme dans le quartier Saint-Leu, près de l’ancienne usine à vinaigre, une friche où l’on peut être serein pour bien travailler. Car tout le monde n’est pas encore initié au graff, encore perçu parfois comme une activité illégale. Certains graffeurs ont encore l’habitude d’aller vite pour éviter la maréchaussée.
Un art comme les autres
« Pourtant le street art c’est du partage. Je croise parfois les policiers municipaux. Ils sont plutôt admiratifs de voir des œuvres colorées sur des murs de bâtiments abandonnés. Le street art est en passe de devenir un art comme un autre et pas juste un phénomène de mode. Il y a un réel engouement, même si certains puristes aimeraient garder son esprit vandale et underground, » souligne Kwes Kondi qui a participé à l’aventure Transition d’Abbeville, cet immeuble voué à la démolition qui a accueilli jusque fin août 2021 un musée éphémère d’art urbain avec plus de 70 artistes. « On a travaillé sur tout un appartement avec A13 et des scolaires. J’y ai rencontré l’artiste XKUZ dont je suis méga fan. Il est comme moi amoureux des lettres, » se réjouit Kwes Kondi qui fort de ces expériences et de cet élan artistique a décidé d’ouvrir une galerie de street art avec Juan Spray. Elle est à Amiens au 18 rue des Majots. « Ce sera un lieu d’expositions d’artistes locaux, de masterclass et notre atelier. Nous aimerions aussi mettre Amiens sur la carte du street art mondial en faisant venir des artistes internationaux, » annonce celui qui fait désormais partie de ces pionniers de l’art urbain de notre région. Allons alors découvrir ces œuvres magistrales créées par ces artistes qui dévoilent tout l’éventail de l’art mural. Un étonnant changement de vision est à portée de regard. Il suffit juste de lever la tête.
LE KENTE, UNE DES RÉFÉRENCES MAJEURES DU STYLE KONDI
Kwes Kondi s’inspire de ses origines africaines pour marquer ses œuvres. Il apprécie particulièrement l’histoire et le rendu esthétique du Kente. Il s’agit de tissus colorés d’Afrique de l’Ouest réservés autrefois aux princes lors de grandes cérémonies. Tissé à la main en coton, le kente représente à lui seul toute l’identité ghanéenne de Kwes Kondi. « J’ai voulu garder ce patrimoine transmis par mon père et l’associer à mon autre culture plus contemporaine et urbaine. Un vrai métissage que l’on retrouve dans mes œuvres. »
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Kwes Kondi est aussi à découvrir durant l’exposition Transition Les Portes, proposée par CURB et le Conseil départemental de la Somme jusqu’au 18 septembre à l’Abbaye Royale de Saint-Riquier.