Dans quel état d’esprit êtes-vous quinze minutes avant que les experts de l’Unesco ne se prononcent ?
Jean-François Caron : Archi-confiant. J’écoute le compte-rendu de l’ICOMOS1 d’un dossier de dix kilos que je connais sur le bout des doigts. Quand la nouvelle tombe, je revois les ambassadeurs de Pologne et du Sénégal en pleurs, émus par une histoire de la mine qui est aussi la leur.
[1] Conseil international des monuments et des sites
Quand arrive un drôle de flottement…
JFC : Je suis submergé par les émotions mais incapable de manifester ma joie alors que tout le monde exulte autour de moi. Ma libération sera crescendo. J’enchaîne interviews et verres de vodka. Je m’entretiens avec Aurélie Filippetti, une fille de mineur tout juste nommée ministre de la Culture. Puis à minuit, un truc incroyable arrive. Le juge suisse me rejoint au bord de la Lena. Ce psychorigide qui avait dégommé tous les dossiers me dit : « Il faut attendre ce moment pour qu’on ait enfin un beau projet. »
Qui a gagné car il très atypique ?
JFC : Pire qu’atypique : orphelin. Il n’y avait pas de tutoriel, pas de jurisprudence, rien. Je me souviens des mots d’Olivier Poisson, l’Inspecteur général des Monuments historiques. Il me dit : « Jean-François, vous allez écrire sur une page blanche. » Il trouvait ça excitant.
Et vous ?
JFC : Moi ? J’en avais marre qu’on s’extasie devant les pyramides d’Egypte et qu’on crache sur les terrils. Tenter d’inscrire le bassin minier comme patrimoine de l’Humanité était une façon de changer de focale. Je n’étais pas le seul à le penser. A l’autre bout de la planète, dans une interview accordée au journal Le Monde, le Japonais Koichiro Matsuura, alors directeur de l’UNESCO, ne disait pas autre chose.
Qu’a appris un enfant du pays comme vous durant dix ans ?
JFC : Que présenter un dossier UNESCO ne se résume pas à décrire la fosse d’Arenberg ou le site du 11/19. J’ai pris mon baluchon et mon carnet de notes. Je ne connaissais pas bien Auchel, pourtant juste à côté. J’ai appris qu’il n’y avait rien de commun entre un coron d’Anzin et une cité jardin de Nœux-les-Mines. Le coureur que je suis a aussi pu porter un regard neuf sur le Terril d’Haveluy ou les alentours de la fosse Casimir-Périer (Somain). Ce genre d’investigation vous fait entrer en militance.
Quels ont été vos talents à vous durant cette période ?
JFC : Catherine O’Miel, ma collaboratrice à la Région, une incroyable cheffe de projets. Je lui dois énormément. Ensuite, je pense à Jean-Marie Ernecq, DGS de la Région. Il m’a aidé à hausser mon niveau de jeu. Enfin, mon père Marcel. Il m’a appris à prendre mon destin en main. Et à ne jamais oublier d’où l’on vient aide à savoir où l’on va.
DATES CLÉS DE L’INSCRIPTION UNESCO
1989 : création de la Chaîne des terrils à Loos-en-Gohelle. Là où débute la réflexion.
Janvier 2010 : coup de grisou au Conseil régional après que le Comité des Biens du patrimoine mondial a, contre toute attente, retenu le dossier Causses & Cévennes aux dépens du Bassin minier.
Automne 2011 : baptême d’hélicoptère pour J-F Caron. Pendant une semaine, il découvre le territoire vu du ciel en compagnie d’un expert gallois missionné par l’UNESCO.
30 juin 2012, 19 h (Saint-Pétersbourg, Russie) : le Bassin minier obtient son inscription au patrimoine de l’Humanité à effet immédiat.
2014 : décès de Louis Bergeron. L’éminent spécialiste d’histoire industrielle avait glissé à l’oreille de J-F Caron qu’ « il n’y a rien d’aberrant dans cette démarche. Les beaux châteaux ne sont pas le seul patrimoine au monde. »
2019 : Jean-François Caron devient président de l’ABFPM (Association des Biens Français du Patrimoine Mondial).