Jean-Claude Duval : énergie renouvelable

Il est l’un des derniers acteurs d’une époque révolue. Guide au musée de la Mine d’Auchel, le trépidant octogénaire ne laissera jamais sur le carreau un visiteur en quête d’informations. Une veine.
Par Joffrey Levalleux
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« On ne pense pas au danger. On avance, c’est tout. » 

Comment oublier le jour où un homme s’éteint dans vos bras ? « On ne peut pas. La mort vous marque à vie. » Lorsque le pire se produit, Jean-Claude Duval n’a pas trente ans. Le jeune homme qu’il parvient à dégager par les pieds respire encore mais il a la tête « aplatie par les décombres. » Le tragique est le quotidien des mineurs de fond. Ils le savent mieux que personne. Si bien qu’ « on ne pense pas au danger. On avance, c’est tout. »  Au figuré mais surtout au sens propre. Huit heures par jour à ramper dans des boyaux de cinquante centimètres de haut avec de l’eau qui court sur le sol. Tout ça, à mille mètres sous terre par des températures qui avoisinent 35° C. Le parfait scénario pour déclencher une crise de taphophobie, cette peur panique d’être enterré vivant. 

Jean-Claude n’a pas quatorze ans quand il va au charbon pour la première fois. Pas dans les entrailles d’une fosse pour des travaux de forage mais à la surface. Dans l’équipe de galibots chargés de pousser les wagonnets ou de tailler des gorges de loup dans du bois de soutènement. Le dur viendra plus tard, à sa majorité. « Je suis reconnu silicosé depuis 1982, j’ai quelques phalanges cassées mais laissez-moi vous dire une chose : je n’ai jamais rencontré une mentalité comme celle des mineurs. Je ne regrette rien. »  

S’amuser au musée  

Jean-Claude Duval n’en aura décidément jamais terminé avec la mine. Depuis plus de deux décennies, cette boule d’énergie de quatre-vingts ans cette année officie en tant que guide dans ce discret musée d’Auchel dont il connaît les moindres replis. Quand il raconte son histoire qui est aussi celle de milliers d’autres camarades, le gouailleur orateur le fait toujours avec humour. Avant de parcourir les 250 mètres de galeries souterraines qui s’apparentent à « une bonne cave à vin à 11° C », il vous dira sans doute de « rester vigilant :  si les souris courent sur les murs, faut pas s’asseoir car ça veut dire que l’air à la surface du sol est chargé de « puteux », de gaz carbonique. »  

Avec lui, pas le temps de s’ennuyer. « Si je m’asseois, je meurs d’ennui. » C’est donc sans fléchir les genoux qu’il nous embarque dans son monde souterrain, tel un groupe de gaillettes dans des berlines lancées à toute vitesse sous l’effet d’un puissant moteur de locomotive. Comme celle qui somnole un peu plus bas. « Imaginez que déjà à l’époque, ce monstre de 9 tonnes filtrait les particules de gasoil et de fumée. Je n’ai qu’une chose à dire : nous les mineurs, on est les inventeurs du pot catalytique… » Mais pas que. 

Le feu sacré de la fraternité 

Au fil du parcours, on découvre un monde à part. Un microcosme qui, pour contourner le vacarme des marteaux-piqueurs, invente le langage de la lampe frontale. Un rond de lumière voulant dire « Viens ici, j’ai à te parler ». « Les mineurs sont les gens les plus chaleureux que je connaisse », ne cessera de nous dire Jean-Claude au cours de notre périple. « Quand on est arrivé cité Camus à Hulluch au début des années 60, on ne connaissait personne avec ma femme. Je vous le donne en mille : on n’a pas soulevé un meuble pour emménager. Les copains sont même allés jusqu’à installer les piquets pour notre linge ! »  

Un jour, avec quelques collègues, Jean-Claude se retrouve piégé au fond du trou. « Il y avait une nappe de grisou. On a fait des portes d’aérage avec des toiles de jute mouillées. On est sorti trois jours plus tard. Ça vous donne une idée de l’esprit de fraternité qui régnait. » Quand à notre tour on émerge sous l’œil protecteur de Sainte-Barbe, patronne des mineurs mais aussi des sapeurs-pompiers et des artificiers, Jean-Claude a une pensée pour Henri, Roger, Charles, les deux Alfred, Lucien, Jacques, Michel, Roland et Francis qui lui adressent un large sourire depuis le cadre qui précède la sortie. « Ils sont à jamais mes amis, mes potes », dit-il modestement. Et désormais, un peu les nôtres aussi. 

Dates clés


      16 avril 1942 : naissance à Rouen 

      1955 : première descente, fosse 6 d’Haillicourt 

      1963 : manque de perdre la vie au 7 de Wingles après un effondrement d’étançon 

      1971 : premières vacances à Menton 

      1987 : dernière descente, puits Ledoux à Condé-sur-l’Escaut 

      1999 : devient guide au musée de la Mine d’Auchel  

      2017 : participe à Visages, villages, film-documentaire co-réalisé par Agnès Varda et JR  

En savoir +

Musée de la Mine Jacques Deramaux

2b, rue de la Paix à Auchel 

Tél.  : 03 21 52 66 10

Ouvert le mardi et le jeudi. Les autres jours sur rendez-vous.

Ouvert en 1987 à un jet de pierre de la fosse 5 d’Auchel, le musée de la Mine accueille chaque année entre 5.000 et 7.000 visiteurs.

Texte : Joffrey Levalleux
Photos : Florent Burton
06 avril 2022
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