iCéÔ : Dans votre dernière expo à Amiens en décembre dernier, nous vous avons découvert dans une nouvelle technique : la peinture à l’huile. Aviez-vous la sensation d’atteindre une limite avec l’acrylique ?
François Glineur : Oui je m’y suis attaqué il y a 4 ans. La peinture à l’huile, c’est la Rolls des techniques picturales. Elle offre des possibilités merveilleuses. Elle m’a ouvert des couleurs nouvelles, comme l’ivoire, le parchemin, des subtilités de nuances que j’ignorais. Même mon regard sur les grands maîtres a changé. Mais elle ramène aussi à une forme d’humilité car c’est une technique d’une extrême exigence. Il faut trouver les bons équilibres de matière et réapprendre la patience. Pendant des semaines au début, j’ai fait de la bouillasse ! Je ne comprenais rien à cette technique, mais j’ai persévéré. Je suis reparti en apprentissage. L’huile, c’est une cuisine très complexe. Et puis, il y a la théorie… et la pratique. J’ai dû me confronter à cette matière qui vit différemment, sèche très lentement, est sensible à beaucoup de paramètres. Des heures et des heures afin d’apprivoiser la technique… avant de la dépasser pour créer.
Une fois la technique dépassée, quel peut être le point de départ créatif d’une toile ?
F.G. : Pour l’huile, je suis parti de tableaux de grands maîtres qui m’inspirent, soit la représentation d’un personnage, comme la femme au chapeau de Rubens que j’ai déclinée des dizaines de fois, soit des rapports de couleurs, comme dans le Pèlerinage à l’île de Cythère de Watteau. C’est toujours un point de départ, une façon de commencer… et ensuite je transforme, j’évolue au fil de mon état d’esprit du moment. C’est comme une valse entre moi et la peinture, et je ne sais jamais où elle va me mener. Un saut dans le vide.

Cette dernière expo présentait une série de portraits. Est-ce un thème qui vous inspire particulièrement ?
F.G : Oui je gravite toujours autour de thèmes récurrents, le peintre et son modèle, les amis, le nu. J’ai fait à une époque une courte incursion dans le paysage, mais qui est tellement anecdotique que cela n’est pas révélateur. En réalité, quoique je fasse, je reviens toujours à l’humain. Ce ne sont pas des représentations fidèles de personnes, toujours des représentations fantasmées. Même si je m’amuse toujours à laisser un détail que seule la personne qui m’a inspiré le portrait saura reconnaître. L’hyperréalisme, ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse. Ce qui me plait, c’est de créer des symboles. Et de rester dans le jeu, le pur plaisir pictural.

Et l’autoportrait, est-ce un exercice auquel vous vous êtes essayé ?
F.G. : Je suis forcément un peu dans toutes les peintures… C’est plus évident bien sûr dès lors qu’il y a un pinceau quelque part. Mais une peinture, c’est toujours aussi un processus inconscient, qui m’échappe d’ailleurs parfois totalement. Comme un fil que je dois tirer, un mystère. Il se passe parfois des mois avant que je comprenne ce qui s’est peut-être exprimé dans une toile.
Si l’envie n’est donc pas de retranscrire la réalité, est-ce plutôt une histoire d’émotion ?
F.G. : Je suis forcément un peu dans une histoire d’émotion oui, de sensibilité. Mais pas seulement la mienne. Je ne crois pas à l’idée du journal intime qui ne veut pas être lu. L’émotion que je peux ressentir chez quelqu’un qui voit ma peinture, elle me nourrit, elle me fait du bien. C’est quelque chose de mystérieux, on fait quelque chose dans son coin de très intime, et finalement ça peut émouvoir quelqu’un de complétement étranger. Cela nous prouve qu’il y a bien quelque chose d’instinctif qui nous traverse tous, nous relie.
Y a-t-il uniquement cette dimension émotionnelle, instantanée, ou également une part d’intellect, une envie de raconter quelque chose ?
F.G. : Oui toujours. C’est vraiment une danse entre tout ça, une danse technique, spirituelle, émotionnelle, mais aussi une danse de la raison. Ça ne peut pas être que l’expression d’un moi intérieur, mais ça ne peut pas être non plus uniquement de l’intellect. De l’ordre et de la beauté. Du pulsionnel et du rationnel. Et une épaisseur de vie qui vient nourrir le travail au fil des ans. Je suis aujourd’hui à la croisée des chemins. Je ne suis qu’à la moitié de mon parcours dans la peinture à l’huile, car il me faut bien dix ans pour explorer une technique. Je vais maintenant pouvoir mêler mon expérience de l’acrylique à ce que j’apprends maintenant de l’huile. Et j’ai envie de me libérer des grands maîtres inspirants pour me reconnecter à des sources d’imaginaire personnel.
Mais toujours dans la couleur…
F.G. : Ah oui, j’ai bien essayé d’être mortifère, mais je n’y arrive pas ! Bien que je sois quelqu’un d’anxieux, l’angoisse m’inhibe totalement. Je suis un optimiste indécrottable.
