Quand vous passez le porche de l’Abbaye du Gard, une atmosphère particulière vous enveloppe immédiatement. Sous un temps pluvieux, automnale, on entend comme les échos de ces neufs siècles d’existence, d’une histoire longue, marquée, dense. De sagesse, paisible, de calme également. Il y réside une lumière forte, presque solaire malgré la bruine permanente… Une ambiance inspirante… Qui ramène à soi-même… A une réflexion sur le monde, les choses qui le composent. Une sorte d’introspection toute créatrice. Entrant chez Bruno Guévenoux, tout prend sens. Ici, plus aucun doute, la création est là. L’inspiration aussi.
Une histoire de bouts de bois
Des toiles modernes sur les murs, des objets oblongs, colorés, sculptés par le temps et la main de l’homme. Des toiles mouchetées, tachetées, emballées soigneusement, déballées, présentées, rangées dans un arrangement d’artiste. Le salon de Bruno n’est plus un salon. Il n’est pas non plus un showroom. Le regard se perd d’images en sculptures, de formes en toiles. Des œuvres, il y en a partout. Sans désordre. Enormément. Bruno Guévenoux est prolixe. Il a des choses à dire avec ses mains, ses ciseaux, ses pinceaux. Mais pas de message : « je ne fais pas partie des artistes qui envoient des messages. Je considère qu’il y a un émetteur, moi, et un récepteur, le spectateur, le public, l’adepte des créations artistiques. Je crée des choses qui me procurent des sensations, qui me parlent. Et si les gens trouvent ça émouvant, sympa, agréable, que ça leur procure une sensation, une perception positive, tant mieux ».
En poussant la discussion, on finit par comprendre une idée force, traduite concrètement par l’histoire de chacune des œuvres de l’artiste : « parfois je prends un objet et je ne sais pas ce que je vais en faire. Je sens que je vais en faire quelque chose. Mais je ne sais pas quand… Je laisse murir ma réflexion ». Des objets qui ont une origine. Un lieu de naissance. Ou plutôt un lieu de renaissance : « ce sont des bois flottés, qui proviennent de la Baie de Somme. Je les récupère souvent en hiver parce qu’en été il y a du monde, il y a moins de tempête, il y a donc moins de bois rejeté par la mer. Je les récupère échoués sur la plage, galets ou sable, ça dépend où je vais… Je le vois ce bois. Je me dis que je peux en faire quelque chose. Je le ramène. Je le récupère. C’est déjà une aventure, car on ne peut pas se rendre sur la plage avec un véhicule, il faut donc s’équiper, sac à dos, parfois j’emmène ma petite tronçonneuse » puis il laisse à ce bois blessé le temps de sécher. De murir, en quelque sorte. Finalement de lui parler. De lui conter son histoire.
Là, Bruno Guévenoux applique sa technique. Ponçage. Sculpture. Création d’une nouvelle forme. Tel un chirurgien esthétique, il opère ce bois flotté, lui fait une nouvelle peau avec du papier maché, matière qu’il adore, pour sa noblesse, fabriqué à partir de journaux recyclés, pour lui donner une nouvelle vie.
Métal Mania », des canettes transformées en œuvres
Des couleurs vives, comme les bâtisseurs de cathédrales. Des finitions dont il est, comme eux, adepte. « Ce qui me touche et ce que j’aime, c’est que je me souviens de ces bois quand je les ai ramassés, en plein hiver, avec une mer déchaînée, en Baie de Somme, il pleuvait… Je sais où, comment et dans quel état ils étaient. Donner une seconde vie à ces bois qui allaient pourrir sur la plage, ça me plaît ».
Car plus qu’une création, chaque œuvre est une résurrection. Forcément, il flotte une atmosphère déique dans ce lieu qui fut de culte, où aujourd’hui il sculpte. Comme si cette poussière ne retournerait pas à la poussière mais plutôt dans des galeries, pour être montrée, aimée, pour émouvoir, plaire.
« Je crée des choses qui me procurent des sensations, qui me parlent«
Recyclage ? Oui évidemment. Comme ces canettes retournées, transformées en œuvres plasticiennes, en miroir d’elles-mêmes. Après des fouilles dans des poubelles. « C’est incroyable la richesse que l’on peut trouver dans les poubelles ! Ces canettes allaient être broyées et j’en fait des assemblages qui s’appellent Métal Mania. Quand vous expliquez aux gens que telle œuvre est faite de cent canettes que j’ai lavées, nettoyées, ils sont interpelés. Je leur raconte une histoire et ils y sont sensibles ».
La nuit est déjà tombée, l’atelier est maintenant éteint. La pluie dense danse sur l’herbe drue qui devance l’ancienne abbaye. Au travers de ses œuvres, le sculpteur et peintre nous a fait faire un tour du monde des pensés, nous a imprégné de sa vision d’artiste, au point de nous inspirer à recycler à notre tour. Au point de donner à ce vieux slogan politique une deuxième vie bien plus poétique : « Yes we canette » !
Les sept vies de Bruno Guévenoux
Homme de radio, de télévision, aventurier, Bruno Guévenoux a eu plusieurs vies palpitantes. Il a décidé de revenir sans nostalgie sur ces étapes de la vie dans une interview vidéo exclusive : celle où il courait de plateaux télé en studios de radio. Aujourd’hui, l’homme devenu artiste est plus apaisé que jamais et regarde presque amusé ces souvenirs qui l’ont construit.