



Poutres sur le point de s’effondrer, plancher vermoulu, couverture éventrée. « Si on n’a pas de culture patrimoniale, on passe son chemin », assure Sémir Kallala. Ça, c’est dans le meilleur des scenarios. Dans le pire, les bulldozers font table rase. Sauf que, pour le jeune architecte, il faut souvent percer l’âme d’un site « pour en mesurer sa réelle valeur. » Un peu comme on gratte une brique pour révéler son âme. Et des briques, la chapelle Sainte-Barbe de Somain en aligne des dizaines de milliers. Saillantes ou alignées, rouges ou blanches, formant ici une voûte, là un soubassement d’une symétrie parfaite. « Ce n’est pas une façade mais une fresque ! », se réjouit S. Kallala. Et surtout pas n’importe laquelle. Construit en 1911 par la Compagnie des mines d’Aniche, l’édifice fut tout à la fois salle de théâtre et berceau de l’enseignement du catéchisme. Autrement dit, un témoin de premier plan de ce que fut le paternalisme patronal minier. Pour le maître d’œuvre en charge de sa restauration, ce projet est donc tout sauf banal. C’est carrément un pan d’histoire humaine à haute valeur sentimentale. Et c’est tout le sens de l’opération « Patrimoine minier en danger » (cf. encadré).

C’est beau le moche
Des rescapés de l’Histoire « mais pas celle du beau comme on a l’habitude de nous la vendre », précise Raphaël Alessandri. Pour l’architecte-urbaniste au sein de Mission Bassin Minier, les onze sites retenus sont tous des verrues que beaucoup aimeraient voir disparaître du derme paysager. Parmi elle, le château des Douaniers à Fresnes-sur-Escaut. Gangréné par les affres du temps et les pillages successifs, le bâtiment fait peine à voir. « Si on n’agit pas, je lui donne trois, quatre hivers avant qu’il ne meure définitivement. » Mais faut-il se réjouir de perdre à jamais le plus vieil élément qui témoigne de l’arrivée de la mine dans notre région1, quand bien même serait-il en phase terminale ? Certainement pas. Idem pour le Camus haut à Annay-sous-Lens, lui aussi en piteux état. Certes, même rénovés, des panneaux de béton préfabriqués ne feront pas rêver mais cet ensemble n’en demeure pas moins l’ultime survivant d’un habitat collectif minier typique de la fin des années 50. R. Alessandri est catégorique : « chaque projet vaut par sa singularité. Et de manière générale, les 353 joyaux du Bassin minier inscrits au Patrimoine mondial Unesco depuis 2012 n’ont pas d’équivalent au monde. »
Des chantiers en bonne voie
A l’autre bout de la veine minière dans le Pas-de-Calais, la Fosse 1 bis de Nœux-les-Mines est l’incarnation de « la ville dans la ville. » Inscrit Monument historique comme la plupart des sites concernés par l’opération « Patrimoine minier en danger », l’ancien carreau en impose avec ses vastes bâtiments. Même si ces derniers ont encore une certaine prestance et qu’un des ateliers arbore une belle charpente métallique, le sauvetage risque de prendre du temps. À Bénifontaine, par contre, à quelques kilomètres en allant vers Lens, le puits d’aérage de la Fosse 13 bis qui se débat au milieu d’une forêt de bouleaux est en bonne voie. Propriétaire du site, la municipalité envisage une reconversion en espace de biodiversité.
Pour les onze dossiers, on sollicite toutes les bonnes volontés. Etat, Région, Départements, collectivités. Certains privés ont même mis la main au porte-monnaie. C’est le cas à Anhiers où un jeune couple s’est porté acquéreur le 11 mai 2021 de l’ancienne Fosse 2 pour un peu plus de 60 000 €. Une bouchée de pain ? Pas vraiment. Un cadeau empoisonné ? Non plus. Simplement cinq chiffres qui marquent le début d’un incroyable projet de vie aux allures de coup de foudre. « On n’a pas acheté à l’aveuglette mais presque. Quand on est arrivé pour la première fois en novembre 2020, deux mètres de ronces masquaient une bonne partie du décor. Mais il y avait le chevalet, la molette de secours, la salle des machines couverte de sheds ajourés », se souvient Alexandre Tignon. D’ailleurs, c’est sous ces vestiges qu’il demande officiellement Lise en mariage. Et le 15 juillet prochain, ce même décor leur servira de salle de mariage. « On a un grand blessé devant nos yeux. A nous de le sauver. ».
1. Construit dans la première moitié du XVIIIe siècle, le château des Douaniers a servi de siège administratif à la Cie des mines d’Anzin.
Le don de changer les choses
Depuis 2017, chacun d’entre nous peut apporter sa pierre à l’édifice en soutenant concrètement l’opération « Patrimoine minier en danger. » Placé sous l’égide de la Fondation du Patrimoine, l’appel au don est d’abord motivé par « la valeur universelle du patrimoine du Bassin minier Nord-Pas-de-Calais et de ses paysages, ainsi que [par] sa place exceptionnelle dans l’histoire sociale du monde de la mine. » Sur les onze sites concernés, la chapelle Sainte-Barbe de Somain est le premier à bénéficier d’une aide substantielle (15 000 €). La souscription quinquennale se poursuit donc jusqu’à l’été 2023. Après cette date, elle pourra éventuellement être reconduite.
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